Cercle Zetetique

Défi !

La vérité est concrète

Dossier réalisé par Paul-Éric BLANRUE.

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Charles Richet, ce « rationaliste » qui croyait aux ectoplasmes, avait raison sur un point : la meilleure solution, pour mettre en évidence et expliquer un phénomène, étrange ou non, est d'employer des moyens scientifiques. Si la « science est loin d'être l'outil parfait de la connaissance », elle est simplement, comme le disait le sceptique Carl Sagan « le meilleur que nous ayons ».

Ce recours s'impose d'abord parce que la fonction de la science est d'étudier la « matière » dans toutes ses composantes - étant entendu que la « matière » est la catégorie philosophique exprimant l'existence d'une réalité objective en-dehors de la pensée. Quelles que soient les transformations du concept scientifique nommé « matière », quels que soient les changements de paradigmes et les bouleversements à venir, ce qui est entre dans le champ de la science, appartient au monde matériel et peut être étudié en tant que tel.

Le surnaturel est à ce titre un non-sens. Ou bien les phénomènes existent : ils sont matériels, naturels et ils peuvent être observés, mesurés, testés par les scientifiques. Ou bien ils n'existent pas, ne correspondent à aucune donnée objective et ne sont qu'un songe creux qui ne mérite pas deux secondes d'attention, sauf pour psychologues ou psychiatres. « La vérité est toujours concrète » (Plékhanov).

Le recours à la science s'impose encore parce seule l'application d'une méthode rigoureuse et rationnelle permet de départager les points de vue antagonistes et de tendre vers l'objectivité. Les « révélations » tombant d'un Ciel improbable, les explications purement verbales, les envolées poétiques, les visions transcendantes et subjectives sont insuffisantes pour conclure à l'existence ou non de manifestations si subtiles qu'elles font parfois douter ceux qui passent leur vie à les traquer. Pour s'assurer de l'existence de phénomènes, il faut des expériences bien conduites, dûment contrôlées, pouvant être répliquées par des tiers neutres.

Or, au bout d'un siècle (ce n'est pas rien) de recherches menées dans le domaine de la « surnature », la communauté scientifique nie l'existence ou réfute l'anormalité des faits rapportés par les surnaturalistes. Les prétendues manifestations engrangées par ces derniers se révèlent toutes à l'étude, soit intelligibles dans le cadre actuel de la science, soit inexistantes. Les surnaturalistes sont constamment pris en flagrant délit d'erreurs d'interprétation ou d'erreurs d'observation. Ils sont souvent les auteurs, les complices ou les victimes de manipulations et de fraudes honteuses.

Ce qui les fait dérailler, eux et leurs occultistes compères, c'est non seulement le fait qu'ils ne pratiquent pas la méthode scientifique dans toute sa rigueur, mais c'est aussi qu'ils se laissent déborder par leurs envies, plus ou moins consciemment. Ils s'offusquent lorsque les sceptiques leur demandent de prendre des garanties pour éviter les tricheries... Ils se croient capables de déjouer du premier coup les trucs utilisés par les fraudeurs... alors même que le « projet Alpha » démontre que leurs titres (quand ils en ont!) ne les préservent pas de ce genre d'accidents. Que n'embauchent-ils des illusionnistes ou des sceptiques pour vérifier leurs résultats! Ceux-ci leur offrent gratuitement leur services...

Les croyants ont trouvé une bonne raison de leur fermer la porte au nez... « Vous dégagez, messieurs les mécréants, des ondes néfastes qui perturbent les capacités médiumniques de notre sujet! Dehors, les sceptiques, ouste, allez déverser ailleurs vos nuisances! ». Sempiternelle réponse, conservée sans retouche depuis la grande époque des tables tournantes. Qui se traduit ainsi : « seuls ceux qui croient au phénomène peuvent en être les spectateurs ». Pétition de principe grotesque, puisque l'opération est réalisée sans les contradicteurs qui seraient les véritables garants de son bon déroulement. Entre croyants, c'est plus facile de tomber d'accord! Réponse de prêtres ou de gourous, indigne de chercheurs qui se prétendent désintéressés. Un laboratoire n'abrite pas le saint-sacrement, ni l'arche d'alliance.

A quel degré l'expérience dépend-elle de la qualité morale ou professionnelle, ou du bon vouloir, ou de la finesse de l'expérimentateur? Le croyant n'aura-t-il pas une tendance bien naturelle à masquer les échecs, à n'enregistrer que les résultats qui vont dans son sens, ou pire : à être moins rigoureux avec le sujet qu'il examine, au motif qu'il ne faut pas « brusquer un prodige »? Voilà les vraies questions que devraient se poser ceux qui conduisent ces mirifiques expériences.

Jusqu'à preuve du contraire, aucune expérience n'a pu prouver que l'effet précédait la cause (on ne peut pas voir ce qui n'existe pas encore), aucun test n'a permis de démontrer que l'esprit agit à distance sur le mouvement des corps. On n'a jamais assisté au spectacle d'un cul-de-jatte dont les jambes auraient repoussé après un voyage à Lourdes, ni à l'apparition d'une entité immatérielle, non pourvue de constitution physique...

Le rejet du surnaturel par la science est total.

Faites vos preuves!

Un bon paquet de questions embarrassantes traversent un jour ou l'autre l'esprit de toute personne dotée d'un minimum de bon sens. Échantillon rapide :

  • Il y a chaque année d'innombrables affaires de disparition ou d'enlèvement. Ces affaires impliquent souvent des enfants et sont très douloureuses pour les familles. Que font les voyants, eux qui déclarent que leur esprit ne connaît ni temps ni frontière? Pourquoi ne mettent-ils pas leurs dons au service des familles? Que faisaient-ils pendant l'affaire Dutroux? Pendant l'affaire Chandra Lévy, qui défraya la chronique au cours de l'été 2001 ?

  • Où sont-ils lorsqu'il s'agit d'arrêter de redoutables tueurs, des terroristes, des marchands d'armes, des trafiquants de drogue?

  • Où sont-ils lorsqu'il s'agit de trouver la formule du vaccin contre le sida? Pourquoi ne mettent-ils pas les laboratoires sur une piste?

  • Et le tiercé? Et le loto? Que ne trouvent-ils les « bons numéros », eux qui devinent, paraît-il, des dessins sous enveloppe ou des cartes tirées dans la pièce d'à côté? Que ne jouent-ils chaque jour au casino, quitte à faire profiter les plus démunis du fruit de leur extraordinaire cerveau?

  • Pourquoi les marabouts, ces « synthèses vivantes des forces inconnues de l'Afrique », vivent-ils pauvres et démunis dans des cages à lapins au fond d'immeubles sordides?

  • Pourquoi certains voyants médiatiques (Nathaniel, Didier Derlich) ont-ils été incapables de prévoir les malheurs qui allaient les frapper?

  • Pourquoi les voyants ne prévoient-ils pas précisément les tremblements de terre, ce qui permettrait de sauver la vie de milliers de personnes? Comment se fait-il que le séisme qui a dévasté la Turquie à l'été 99 n'ait pas été prévu, alors que les astrologues du monde entier s'intéressaient de près à cette saison du fait de l'éclipse?

  • Pourquoi personne n'a vu l'attentat du 11 septembre 2001 ?

  • Comment se fait-il que les lévitations se produisent dans des lieux reculés et clos et que seuls les disciples du gourou puissent y assister?

  • Comment se fait-il que les séances de spiritisme se déroulent dans des pièces sombres permettant toutes sortes de dérobades et d'arnaques? Pourquoi les esprits ne se manifestent-ils jamais en présence de sceptiques?

  • Pourquoi les fantômes et les esprits n'ont-ils que des banalités affligeantes à raconter? Pourquoi, plutôt que de dispenser des conseils de grand-mères et des sermons dignes de la Bibliothèque rose, ne donnent-ils des informations concrètes et utiles à notre développement?

  • Pourquoi les esprits qui apparaissaient à Victor Hugo parlaient-ils le langage de Victor Hugo?

  • Comment se fait-il, comme le regrettait Voltaire, que les miracles ne se produisent jamais en présence des membres de l'Académie des sciences?

  • Pourquoi la Vierge apparaît-elle toujours à des catholiques et jamais à des adorateurs du Serpent à Plumes?

  • Comment se fait-il que les phénomènes miraculeux aient tellement décru depuis les temps bibliques? (Saint Augustin en personne s'en inquiétait déjà : « Pourquoi ces miracles qui se faisaient autrefois ne se font-ils plus aujourd'hui? », disait-il). Y a-t-il une bonne raison au fait qu'ils aient eu lieu en abondance en des temps où les mentalités étaient frustes?

  • Pourquoi les tordeurs de métaux à distance sont-ils d'anciens illusionnistes (Geller ou Girard)?

  • Pourquoi, depuis l'invention de la photographie à l'infrarouge, ne voit-on plus les médiums faire apparaître des ectoplasmes?

  • Pourquoi, depuis que les méthodes expérimentales strictes ont été introduites dans la recherche parapsychologique, les bons scores se sont-ils mis à chuter vertigineusement?

  • Pourquoi les résultats sont-ils toujours négatifs lorsque les expériences sont faites sous le contrôle ou avec la participation des sceptiques?

  • Pourquoi, au bout de cent ans, les recherches paranormales n'ont-elles fait aucun progrès?

Les tenants du paranormal, incapables d'y répondre sérieusement, ont trouvé mille échappatoires pour se dépêtrer de ces questions. Gnomes intellectuels lorsqu'il s'agit de chercher les biais qui entachent leurs expériences, ils se transforment en pulvérisants génies dès qu'il leur faut riposter aux objections rationnelles. Qui s'est un jour risqué à leur soumettre ces difficultés a pu avoir un aperçu du registre galactique de leur imagination. Et recevoir en sus quelques noms d'oiseaux destinés à qualifier l'odieuse et impardonnable suspicion : « terre-à-terre! courte-vue! obtus! réducteur! esprit fermé! borné! limité des neurones! étroit de l'hypothèse! obstacle à la connaissance! briseur de rêve! »...

Pour sortir des insinuations, des insultes stériles, du discours creux de la rhétorique et du charme enveloppant des connaissances livresques, où le brouillard des mots permet de camoufler la prosaïque réalité, quelques sceptiques, jamais invités à participer à ces expériences censées remodeler le visage de la science du troisième millénaire, ont eu l'idée ingénieuse de lancer un défi bien concret, bien palpable à tous les « sujets psi » de la planète bleue, fantômes et Vierge Marie inclus. Si tu ne vas pas à Lagardère& les sceptiques iront à toi! La philosophie qui sous-tend ce défi : « Vous prétendez avoir des pouvoirs : prouvez-le! ». Simple comme bonjour. Quiconque se déclare capable de produire un phénomène paranormal peut y participer.

L'intérêt pour l'expérimenté n'est pas léger. En 1987, le défi était assorti d'un montant de cinq cent mille francs français. En 1992, à l'occasion de la centième candidature, le chèque a été porté à un million. En 1999, les deux cents candidatures ayant été dépassées et la création de la monnaie européenne aidant, la somme a été porté à deux cents mille euros, soit plus d'un million trois cents mille francs français (huit millions FB)! De quoi s'acheter quelques cuillers à tordre!

Les auteurs de ce Prix-défi : Henri Broch, professeur de physique et de zététique à l'université des sciences de Nice, l'illusionniste Gérard Majax et Jacques Theodor, docteur de l'université de Paris (mention sciences), signataire du chèque.

Extrait des conditions requises, au 1er juin 1999 :

« 1) Le prétendant doit déclarer par avance de quels pouvoirs ou aptitudes il va faire la démonstration, quel sera le cadre de cette démonstration (temps, lieu, matériel, autres paramètres...) et exprimer ce qui serait un résultat positif ou un résultat négatif.

(...)

6) Les tests de démonstration seront faits devant au moins deux des trois personnes suivantes: Henri Broch, Gérard Majax, Jacques Theodor. En cas de force majeure liée à des événements indépendants de la volonté des expérimentateurs, la démonstration pourra se faire devant le seul Professeur Henri Broch.

7) Les tests se dérouleront, chaque fois que cela sera possible au vu des revendications du prétendant, à la Faculté des Sciences de l'Université de Nice-Sophia Antipolis.

8) Les tests auront lieu à une période spécifique de l'année, fixée à la période de mi-février à mi-mai (permettant aux expérimentateurs, si nécessaire, d'organiser les tests pour plusieurs prétendants sur une seule et même période).

9) Il pourra être fait appel, pour certains tests, à la participation de divers laboratoires universitaires, du C.N.R.S. ou d'autres organismes, si la nécessité se présente d'avoir recours à des expériences requérant des moyens techniques particuliers.

(...)

14) Quelle que soit l'issue de sa démonstration, le prétendant s'engage à toujours en préciser le résultat concret lors de toute déclaration (sous quelque forme et sur quelque support que ce soit) publique ou privée concernant cette démonstration.

15) Au cas où le prétendant réussit sa démonstration dans les termes et conditions convenus, la totalité de la somme de 200.000 Euros sera payée immédiatement par chèque, en règlement intégral. »

C'est simple, c'est clair et sans possibilité de contournement. Pas de « technique du soupirail », pas de faux-fuyant. On réussit ou on échoue.

Depuis 1999 le défi se déroule dans le tout nouveau laboratoire de zététique - Centre J. Theodor, créé à la Faculté des sciences de Nice en juin 1998. Ce laboratoire, dont le directeur est le professeur Broch se veut « un centre de recherches sur les phénomènes dits « paranormaux » ou « hors-normes » : c'est la seule structure universitaire en France où le paranormal est testé scientifiquement. Lieu idéal pour de telles expériences[1] : des protocoles bétonnés permettant d'éviter de tomber dans les pièges habituels, du temps, un savoir zététique, la connaissance des mécanismes de l'illusion, des compétences scientifiques mises à la disposition des ectoplasmes, des tordeurs de cuillers et des miraculés de bonne volonté... La balle est dans le camp des croyants.


Banc d'essai

En tant que président du Cercle zététique, j'ai été l'administrateur du Prix Défi durant deux années. Expérience sidérante, ébouriffante, irréelle... Un voyage dans la galaxie de l'abracadabrant.

Réservant  aux auteurs du Prix le soin d'en brosser un jour l'analyse et la synthèse, je ne peux, en attendant, résister au plaisir de vous faire partager, à travers quelques exemples caractéristiques, la saveur très spéciale de l'univers mental de la fine fleur des surnaturalistes pratiquants.

Lettres d'intention

Voici quelques termes puisés dans la pile de dossiers rouges conservés au-dessus de mon bureau. Anonymat respecté et orthographe corrigée, par charité païenne.

Mme Martine V., 3 décembre 1997, inquiète : « Suite à notre conversation téléphonique, je vous écris afin d'apporter ma contribution à vos recherches sur le monde paranormal. En ce qui me concerne je suis âgée de trente-huit ans et depuis des années j'ai des flashes très précis. L'un des plus marquants de ma vie m'est arrivé six mois avant le suicide de mon ami : il m'est apparu en vampire et vous n'êtes pas sans savoir que les personnes suicidées n'ont pas droit au paradis (je vous fournirai plus d'indication à ce sujet). Ceci était le début de ma prise de conscience que je possédais ce don ou que ce don me possédait. Par la suite, simplement en serrant la main de personnes inconnues, je connaissais leurs préoccupations et étais capable de voir la solution avec des dates précises. Mais je n'affiche pas ce don car je vis mal le regard des sceptiques et encore de ceux à qui je fais peur et qui croient que c'est moi qui influence les choses (...) ».

M. André P, 4 janvier 1998, modeste et précis : « Messieurs, je connais l'avenir du monde et voudrais vous en faire part. Il ne m'est pas possible de vous le communiquer par lettre et je pense qu'un rendez-vous est préférable, pour des raisons facilement compréhensibles. De plus je suis suivi par des agents doubles. Merci de me joindre à (...) entre 12 h et 13h 35 »...

M. Franck L., 14 janvier 1998, savant : « S'agissant de la question de savoir ce que j'entends par « association du corps et de l'esprit et de la matière », je tiens à préciser ceci tiré de mes pouvoirs en numéro 5 : l'émission de matière particulière entre ciel et terre relève de la mise en application d'une certaine mécanique quantique que les scientifiques ne veulent voir associer, au demeurant, à l'homme. Or pour ce faire, et sans que j'en fus prévenu, la mécanique quantique se devait de prendre option militaire et d'admettre ainsi la présence, au sein du volume, d'une cible vivante à la fois rempart, relais, médiateur et en l'occurrence, rapporteur universel. Je fus pour ma part réveillé après l'appel du Pape à Dieu en 92 et particulièrement couvert par les pouvoirs publics de gauche dans le but d'y voir clair. »

Mme Fanny H., 1er mars 1998, douée : « je suis assez douée pour tordre des cuillers, même sans les toucher »...

Re-M. Franck L., sans date, reçu le 5 mars 1998, un cristal de clarté : « Je tenais à vous préciser ceci : la totale dont je vous ai fait part dans ma candidature première (...) avait pour but de vous mettre au diapason d'une éventuelle mise en examen sous la lorgnette de quelques responsables d'État cités et autres milieux particulièrement attentifs et désireux d'en découdre de mes pouvoirs. Aussi, ai-je pris la liberté d'en référer à votre ministère de tutelle et qui pourrait être aussi le mien, Monsieur Claude Allègre, chargé de la recherche, de la technologie et de l'éducation nationale. Celui-ci attend de votre part une tenue plus soignée dans vos rapports à l'État. En effet, vous deviez rendre à César ce qui est à César car vous n'avez pas, seul, à préjuger d'une telle candidature et à Dieu ce qui est à Dieu plutôt que d'agir de façon quelque peu cavalière.
« Monsieur le Président de la République Jacques Chirac et Monsieur le Premier Ministre Lionel Jospin sont au titre de la cohabitation, particulièrement informés de l'importance que revêt un tel enjeu et je ne saurais les décevoir. Il est vrai que mon dossier fait l'objet depuis de nombreuses années d'une vive attention de la part des pouvoirs publics et qu'il ne saurait être question d'une quelconque affaire dont la vôtre Monsieur Blanrue ne l'entache d'une pseudo mise à l'épreuve ni même d'un vice de forme, ne vous en déplaise. Ma candidature (...) peut faire l'objet dans les tout prochains jours d'une tenue au sommet sans que cela ait un caractère officiel pour autant. (...) Puissiez-vous en découdre de cette affaire et me répondre pour ou contre ma candidature une fois que l'État vous aura donc transmis son avis »; etc...

Mlle Paule R., 6 avril 1998, précoce : « mes pouvoirs spéciaux ont commencé dans le ventre de ma mère, à l'âge de six ans »!

M. Lionel T., 20 juillet 1998, médium professionnel et pressé : « Monsieur! Je sais vraiment un tas de choses qui peuvent s'avérer terribles pour le futur. Le protocole que vous me transmettez mettrait trop de temps à s'accomplir et je ne puis l'accepter puisque les « choses » vont se produire incessamment. »

Mme Corinne G., 5 novembre 1998, multicartes : « Je fais également la nuit lorsque le ciel est bien étoilé, je fais déplacer des lueurs filantes, comme une étoile filante pour confirmer ma demande (...) Je sais faire d'autres petits trucs, cela serait trop long à énumérer. »

Mme Anne-Marie A., 4 mars 1999, habile : « Je suis médium et possède des dons de voyance. (...) A deux reprises dans ma vie j'ai fait exploser en mille morceaux : une première fois une tasse contenant du café au lait, ceci en mettant un morceau de sucre; une deuxième fois en tenant une coupe de cristal (non fendue) contenant des fraises au sucre. l'explosion a fait un bruit important. (...) Au travail j'ai mis hors d'usage un télex et par la suite un écran d'ordinateur. »

Mme Jacqueline R., démangée par les fluides... : « Je peux contacter sexuellement n'importe qui sans connaître la personne et ne saurai rien sur elle. Certaines personnes peuvent me regarder à mon domicile ou ailleurs. (...) A tout moment je n'ai plus d'intimité, je suis violée totalement, je ne suis en aucune manière responsable de cet état de fait que je ne puis contrôler!! (...) J'espère beaucoup que l'on puisse me donner une explication à cette situation qui finira par porter atteinte à ma santé mentale »!

Il y en a des dizaines d'autres, similaires - et je compte pour rien les coups de fil, près d'une centaine, reçus après mes apparitions télévisées, souvent à des heures absolument indues.

Je n'ai pas rencontré la totalité de ces « sujets », loin de là : heureusement pour mon équilibre mental du reste. La plupart se sont évanouis dans la nature dès qu'il a été question de mettre au point un protocole concerté. Quelques autres, douze seulement, se sont tout de même risqués à se présenter. A cette époque, le Cercle zététique faisait passer des préliminaires aux candidats. Sur ces douze personnes, cinq ne sont pas restées plus d'un quart d'heure. Les présentations faites, elles se sont éclipsées dès que nous avons commencé à refuser les changement de protocoles de dernière minute qu'elles proposaient. « Pas en forme aujourd'hui - au revoir! ». Nous ne les avons jamais revues.

Les sept autres ont été testées jusqu'au bout.

Testé - mais non approuvé!

Le cas n° 1 était un médium d'une soixantaine d'années, qui voulait se faire tester sur ses « dons de guérisseur ». Selon lui, ces « dons » lui étaient accordés par son ange gardien, nanti d'un nom qui ne nous est pas resté en mémoire, malheureusement - malheureusement, car il était d'une drôlerie insoutenable. Il voulait en faire profiter la multitude à titre gracieux, ne se sentant pas digne d'empocher la somme du défi. Il se pliait aimablement à nos procédures dans l'espoir de « faire avancer la science », et déclarait volontiers qu'il reverserait le million à une société caritative. Louable intention. Personnage charmant d'ailleurs, ce Maurice, car tel était son prénom.

But de l'opération : « magnétiser un steak », c'est-à-dire le rendre dur, comme momifié, par le pouvoir de la pensée. Pour éviter toute tricherie, Maurice ne pouvait pas le toucher, il avait seulement le droit de faire des passes « magnétiques » par au-dessus, les manches de sa chemise relevées. C'est ainsi qu'il procédait habituellement, dans son « cabinet » de Besançon - donc, pas de problème, il coopérerait amicalement. Bien sûr, nous avions pris soin de découper le steak en deux, d'en conserver une partie et de la placer dans une pièce attenante, afin de vérifier, si une modification se produisait, que notre guérisseur agissait réellement sur la matière et ne se contentait pas d'attendre que le steak se dessèche. Contrairement à une opinion commune, un steak laissé à l'air libre peut facilement durcir de lui-même. Il suffit de le laisser dans un endroit aéré et pas trop chaud, de préférence en hauteur : si les conditions sont réunies, il ne pourrira pas - au bout de quelques jours, il commencera à se durcir et à revêtir, sans dégager la moindre odeur, l'apparence de ces « steak momifiés » qui font la fortune des guérisseurs auprès de leur clientèle (qui peut empêcher un steak de pourrir a le pouvoir de stopper la progression des microbes : l'idée de brandir ces steaks vient de là).

Pour que les pouvoirs de Maurice fussent attestés, il fallait que le steak se durcisse plus vite qu'à l'accoutumée, c'est-à-dire en quelques minutes. Nous lui avions laissé deux heures, parce que nous étions de bonne humeur. « C'est trois fois trop! », nous avait-il répondu, avec aux lèvres le sourire triomphateur de César franchissant le Rubicon.

Quatre heures plus tard, il fallut se rendre à l'évidence : Maurice n'était pas « en forme ». Les deux steaks furent comparés : à l'oeil nu, aucune différence. Maurice se leva, s'alluma une Gitane. Il avait raté son coup. Il mit sa casquette sur la tête et nous le revîmes jamais.

Le cas n°2 magnétisait, lui, des citrons. Une variante. Il devait y avoir, en ce temps-là, comme une mode. Nul besoin d'insister, les résultats furent exactement les mêmes que ceux de Maurice, sans ange gardien, sans casquette et sans Gitane.

Le cas n°3, François, trente-quatre ans, avait des flashes. Il nous promettait de deviner si les personnes dont nous lui soumettrions les photographies avaient des problèmes de santé - il se sentait même en état de préciser lesquels. Pour éviter toute contestation, nous nous étions mis d'accord préalablement. Pour les malades, nous ne choisirions que des personnes atteintes de maladies graves et nous écartions l'éventualité de déclarer « malades » des personnes qui pouvaient souffrir de maladies bénignes ou dont la maladie se déclarerait dans un avenir plus ou moins lointain. La « maladie » devait être grave et déclarée au jour de l'expérience. Notre sujet était d'accord et comprenait nos préoccupations.

Par un médecin des hôpitaux, nous étions parvenus à réunir six portraits de patients atteints de pathologies sérieuses, bien qu'apparaissant en bonne forme apparente, et nous avions demandé à vingt-quatre amis en bonne santé de faire un tour au Photomaton de leur quartier. Soit trente photos en tout. Le médium prétendait obtenir un résultat époustouflant et dépassant de loin le hasard : vingt-cinq réponses justes! Il ne savait pas, naturellement, le nombre de malades ni celui des biens portant. Il avait deux heures pour faire le tri.

Résultat? Aucune bonne réponse. Un vivant déclaré « à peu près mort », cinq cancéreux au dernier stade gratifiés d'une « santé éclatante » et un sidéen « sans problème particulier »... A peine de quoi sourire.

Je n'ai pas assisté personnellement à l'expertise du cas n°4. Un homme qui prétendait faire tourner un pendule par le formidable pouvoir de sa pensée. Philippe Le Vigouroux et l'illusionniste Vito se sont chargés de lui. Au final le pendule tournait bien, mais parce que le sujet le faisait bouger par des mouvements du bras. Quand on lui a demandé pourquoi il ne pouvait pas agir sur son pendule en l'attachant à un plan fixe, ce qui aurait eu pour effet de l'empêcher de lui donner des impulsions, même involontaires, notre sujet a répondu, candide, que le pouvoir « venait de ses mains, par lesquelles passait une onde »... Sans doute : cette onde, en termes scientifiques, s'appelle l'influx nerveux!

Le candidat n°5 était une candidate, une brave dame qui déclarait, frémissante, être poursuivie par un fantôme, qui se matérialisait dès qu'elle prononçait des phrases magiques, incompréhensibles aux pauvres mortels que nous étions, comme il se doit en pareil cas. Dommage, nous n'avons pas eu l'honneur de faire la connaissance de ladite entité. Toute penaude, la dame est repartie avec l'invisible et muette entité dans ses bagages.

Candidat n°6 : Sylvia, une voyante messine, titrée « Nostradamus d'or », qui « travaille aussi sur les maladies ». Avec Tania Dirheimer, trésorière du Cercle zététique, et Damien Triboulot, secrétaire, nous nous rendons au lieu de rendez-vous, un salon de thé où la dame doit nous montrer un échantillon de ses talents, en avant-première. Elle nous a prévenus, nous risquons d'être étonnés. Nous le serons, en effet. Sylvia ne nous montrera rien du tout et finalement refusera « d'aller plus loin ». Plus loin que quoi, nous ne le saurons jamais! Elle se glorifiera quand même de pouvoir « guérir le sida ». Cynique et sinistre bonne femme.

Le dernier candidat, prénommé Désiré, devait nous « prouver » que le « suaire » de Turin était l'authentique drap mortuaire du Christ. Comme l'Américain Edgar Cayce, il avait accompli un « voyage en astral », détaché de son « enveloppe corporelle », au cours duquel il avait rencontré les « maîtres cachés de l'univers » qui lui avaient confié copie de documents réjouissants pour les croyants, accablants pour les sceptiques, qui éclaboussaient les trois diaboliques laboratoires qui avaient profané la sainte relique. Nous avons échangé un abondant courrier, discuté de vive voix à plusieurs reprises. Lorsque mon livre de démystification du « suaire » est sorti, je lui en ai envoyé un exemplaire, avec une dédicace appropriée. L'a-t-il lu, je ne saurai le dire, car depuis, cela fait six mois à l'heure où j'écris, c'est le complet silence radio. Désiré ne répond plus. S'est-il perdu dans une faille spatio-temporelle, a-t-il pris un aller simple pour les limbes? Les autorités célestes se sont-elles émues des déclarations fracassantes que leur envoyé me promettait? Nous ne le saurons probablement jamais.

Une chose est certaine. Parmi tous ces surnaturalistes, professionnels ou en herbe, s'illustrent une grande quantité de doux-dingues, mais se dissimulent aussi une bonne dose de dangereux escrocs, en particulier parmi ceux qui font commerce de leurs prétendus dons. Sylvia « qui guérit le sida » en fait partie.

En 1997, le Cercle zététique du Languedoc-Roussilon a mené une enquête sur les guérisseurs[2]. Son président, Laurent Puech, avait été étonné des investigations de Louis Lamarre, du Québec, qui concluait qu'après avoir reçu une lettre qui ne laissait subsister aucun doute sur la gravité de la maladie de l'auteur, sept cent soixante-douze guérisseurs sur huit cents déconseillaient l'opération chirurgicale et promettaient de guérir la malade en échange d'espèces sonnantes et trébuchantes.

Au printemps 97, Laurent avait adressé une lettre avec le même texte que celui de Lamarre à cinquante guérisseurs-magnétiseurs du Languedoc-Roussillon. S'était joint à lui le Parisien Vito, qui avait procédé de manière identique auprès de cent guérisseurs d'Ile-de-France.

Résultats :

 

 

Languedoc-Roussillon

Ile-de-France

Total

Nbre envois

50

100

150

Nbre réponses

33

50

83

Dangereux

17

9

26 (31,3%)

Potentiellement dangereux

12

34

46 (55,5%)

Lucides

4

7

11 (13,2%)

 

Environ un tiers des magnétiseurs-guérisseurs déclaraient pouvoir agir sur la maladie à la place d'une intervention! Moins qu'au Québec - mais inquiétant tout de même! Exemple de cette dangerosité à travers cet extrait de conversation téléphonique avec R. R., magnétiseur à Béziers :

CZ (Cercle Zététique) : (Ma femme) a une tumeur maligne au sein droit...

R.R :  Au sein droit !?

CZ : Oui.

R.R. : Mais c'est inflammatoire, ça.

CZ : Non, non. La biopsie a révélé qu'il s'agissait d'une tumeur maligne, donc...

R.R. : Non, écoutez, le côté gauche c'est la production, le côté droit c'est l'énergie. Il y a une insuffisance de reconstitution immunitaire que le mental, qui diffuse entre le conscient et l'inconscient la diffusion de l'oxygène dans le sang. Bon, ce manque d'oxygène chez la femme a provoqué une inflammation du système, disons, glandulaire, bon, c'est tout. Et que l'on dévoile qu'à l'intérieur il y a une tumeur maligne, bon il faudrait être sûr que ce ne soit pas un kyste ou quoi que ce soit, vous comprenez ?...

Audace incroyable! Qui doit fonctionner avec nombre de clients puisque l'escroc en fait commerce. Le plus révoltant : ce triste sire est toujours en activité.

Le surnaturel n'est pas qu'un gigantesque cirque où les clowns se prennent les pieds dans leurs costumes trop grands, où les trapézistes s'écrasent alors qu'ils promettent de s'envoler. Le surnaturel, exploité par des gens sans scrupule, peut conduire à la mort. Il ne faut jamais l'oublier.

Et les résultats du Défi à ce jour? Sur environ deux cent cinquante candidats, le taux de réussite est estimé au chiffre évanouissant de - ZÉRO!

Paul-Éric Blanrue.



[1] Adresse postale: Laboratoire de Zététique - Centre J. Theodor - Université de Nice-Sophia Antipolis Faculté des Sciences, Parc Valrose 06108 Nice cedex 2. France

[2] Voir Enquêtes Z n° 12, 1999.