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Une fausse note de plus au tableau d'Yves Lignon

Dossier réalisé par Patrick Berger.

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Petit résumé et extraits

du texte « Sarcophage et Houille Blanche » de Yves Lignon.



« La note scientifique  (...) développe mon point de vue sur le fond du problème du sarcophage d'Arles-sur-Tech et je souhaite qu'elle soit largement diffusée »


Nous pensons que le résumé ci-dessous et l'article joint « Une fausse note de plus au tableau d'Yves Lignon » qui analyse cette « note scientifique » répondront au souhait de M. Lignon.

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Après une rapide présentation du sarcophage d'Arles-sur-Tech et des articles sur le sujet, Y. LIGNON se livre à une explication de son point de vue sur la question.


Dans le paragraphe 2-3 intitulé  « Corrélation et causalité », l'auteur nous explique longuement et  exemple à l'appui, que corrélation ne veut pas forcément dire causalité : «  De nombreux contre-exemples montrent qu'il est excessivement imprudent d'interpréter à la va-vite l'existence d'une corrélation en termes de causalité (la variation de X étant la cause de celle de Y ouvice-versa).(...) interpréter ex abrupto la présence d'une liaison entre X et Y comme mettant en évidence une relation causale est une faute à ne pas commettre. »


La qualité de l'étude de la Houille Blanche est ensuite remise en cause et Y. LIGNON écrit (en majuscules dans le texte) : « IL N'EN RESTE PAS MOINS QUE L'ABSENCE DE TOUT TRAITEMENT STATISTIQUE DES DONNÉES NUMÉRIQUES PUBLIÉES CONSTITUE UN MOTIF PERMETTANT DE CONTESTER LA QUALITÉ DE L'ÉTUDE DE LA HOUILLE BLANCHE »


Après quoi l'auteur expose en détail les résultats de ses propres calculs statistiques au paragraphe  2-5-2 : « Ce traitement statistique pourquoi ne pas l'effectuer nous mêmes en calculant quelques coefficients de corrélation ? » (...) « Toutes ces valeurs sont faibles et aucune n'est ''significative''. »

La conclusion est alors sans appel : « l'analyse  statistique des données publiées par la Houille Blanche ne  fournit pas une information suffisant pour valider l'hypothèse de l'existence d'une corrélation entre "quantité d'eau de pluie" et "hauteur d'eau dans le sarcophage" ».


Y. LIGNON se livre ensuite à un exposé des remarques du Pr. H.Broch au sujet de l'oubli des couples de valeurs (0,0) : « Ayant, du moins nous le supposons en l'absence de publication, effectué lui aussi des calculs du type de ceux dont on a pu prendre connaissance ci-dessus (paragraphe 2-5-2) M.Broch explique que nous avons eu le tort (ou commis l'erreur) de ne pas prendre en compte les paires devaleurs (0,0) correspondant au fait que « Le niveau n'a pas daigné bouger pendant deux

mois...  Pendant deux mois il n'a pas plu ». ».

Y. LIGNON indique alors, calculs à l'appui qu'effectivement « l'introduction de paires (0,0) peut changer beaucoup de choses ». L'emploi du terme « introduction » montre bien que l'auteur sous-entend que pour lui ces données ne sont pas des données comme les autres.

C'est ce qu'il écrit explicitement par la suite, exposant, par la même occasion, sa façon d'aborder la méthode statistique: « si nous pensons qu'il ne faut pas tenir compte des paires (0,0) c'est parce que (paragraphe 2-2) les méthodes de corrélation servent à étudier la possibilité d'une variation concomitante de X et de Y et qu'il faut d'abord pour cela qu'il y ait variation de X et variation de Y. « Lorsque X varie est-ce que Y à tendance à varier ? » telle est la question initiale. ».

Pour mieux faire « comprendre »  son argument, Y. LIGNON propose l'exemple suivant :

« Ainsi si pénétrant dans notre salle de cours de première année de Deug mathématiques en ayant l'intention de donner aux étudiants un exemple sur la moyenne arithmétique à partir de leurs propres tailles nous découvrions que toutes les têtes qui nous font face sont à peu près au même niveau sauf celle de John Benson, qui domine toutes les autres parce que ce célèbre basketteur nous fait l'honneur de suivre nos cours, il est vraisemblable que la taille de ce charmant garçon ne serait pas prise en compte au moment du calcul »


La « note scientifique » se termine sur la présentation des résultats de l'étude hydrologique la plus récente (5) de laquelle il tire les extraits suivants : « Le phénomène de condensation existe bien et n'est pas négligeable » « Cette quantité d'environ 200 litres d'eau par an est le bilan final d'une entrée d'eau de pluie, de rosée condensée et d'évaporation...  La condensation est six fois plus importante que l'évaporation et participe à la "production" d'eau à hauteur de 10 %. ».

Et Yves Lignon de conclure : « Cette fois le rôle majeur joué par l'eau de pluie est bien mis en évidence et le mystère de la Sainte Tombe sans doute éclairci pour de bon. »


Le texte se termine par un procès d'intention à peine implicite à l'endroit du Pr. H.Broch : « Si l'on peut comprendre que la décontraction des rédacteurs de la Houille Blanche ait suffi pour qu'ils croient en avoir fini les premiers avec cette étonnante histoire d'eau, on peut, par contre, s'étonner de l'insistance mise par M.Broch à défendre la même position  (...) On peut s'interroger : pourquoi M.Broch a-t-il tenu à s'exprimer comme si l'affaire était « bouclée » depuis une bonne quarantaine d'années ? Nous ne proposerons pas de réponse (...) »




Une fausse note de plus

au tableau d'Yves Lignon


Patrick Berger



Au cours du mois de septembre 2002, un texte, présenté comme une « note scientifique » et signé Yves Lignon, était diffusé sur l'Internet par mails ou publication sur certains sites spécialisés dans la thématique du « paranormal » (1). Ce texte retrace une polémique entre son auteur et le Pr. Henri Broch au sujet des résultats d'une étude réalisée par les hydrologues MM. Pérard, Honoré et Leborgne, et publiée dans le journal la Houille Blanche en décembre 1961  (2). Cette étude portait sur l'origine supposée « miraculeuse » d'une eau qui ne le serait pas moins et que l'on peut puiser régulièrement au fond d'un sarcophage appelé « Sainte Tombe » et situé dans l'abbaye d'Arles-sur-Tech, ville des Pyrénées-Orientales. Les mesures effectuées, quoique rudimentaires, concluaient que l'eau en question provenait en grande proportion de l'eau de pluie.

Dans son texte, Y. Lignon présente la polémique qu'il a entretenue avec le Pr. H. Broch comme un débat scientifique en appuyant la légitimité de cette polémique sur des calculs statistiques dont le résultat est que les mesures ne permettent pas de conclure à l'origine pluvieuse de l'eau du sarcophage. Néanmoins, si ledit document a la forme d'une note scientifique par sa structure, sa bibliographie, sa pédagogie et le ton mesuré de l'auteur, il n'en demeure pas moins que, sur le fond, il s'agit d'un texte présentant une approche tout à fait erronée de l'usage des statistiques dans cette question du sarcophage d'Arles-sur-Tech. Le propos du présent article est donc d'éclairer le lecteur non spécialiste sur l'absurdité des calculs statistiques d'Y. Lignon et d'expliquer en quoi cela n'est guère acceptable intellectuellement quand on sait que le Pr. H. Broch avait lui-même pris la peine d'expliquer plusieurs mois au préalable en quoi consistait cette erreur (3) et qu'en retour Y. Lignon persiste et signe.


Pour tester de façon quantitative l'origine pluvieuse de l'eau, il peut être question de confronter le niveau des précipitations à celui de l'eau dans le sarcophage. Ce travail a été mené entre autre par les hydrologues eux-mêmes, puis par le Pr. H. Broch et enfin par Y. Lignon dont les conclusions sont opposées à celles des précédents. Ce dernier a ainsi réalisé une étude statistique dont il nous donne le détail et dont la conclusion est la suivante : « L'analyse statistique des données publiées par La Houille Blanche ne fournit pas une information suffisante pour valider l'hypothèse de l'existence d'une corrélation entre "quantité d'eau de pluie" et "hauteur d'eau dans le sarcophage". ». Et en regardant les résultats numériques d'Y. Lignon, cette conclusion semble sans appel pour un lecteur non averti. Le  Pr. H. Broch aurait ainsi défendu une étude approximative en prenant pour concluantes des mesures qui ne l'étaient pas... La réalité est en fait toute autre : l'emploi qu'Y. Lignon fait des outils statistiques est tout simplement erroné et cela a de quoi étonner quand on sait qu'il enseigne cette matière à l'université.


Corrélation n'est pas causalité : et alors ?


Dans leur article de 1961, les trois hydrologues suscités rapportent qu'ayant observé et testé expérimentalement la porosité du couvercle du sarcophage, ils ont constaté que celui-ci laissait filtrer l'eau plus ou moins rapidement en différents endroits. Il était donc prouvé que de l'eau de pluie pouvait s'infiltrer dans le sarcophage et remplir en partie celui-ci. Cet élément est occulté dans le texte d'Y. Lignon de la façon suivante : « Sont alors exposés les résultats de diverses expérimentations physiques que nous n'avons pas compétence pour évaluer ». Et pour ce dernier, la preuve que l'eau de pluie peut s'infiltrer ne peut venir que d'un traitement statistique, reprochant alors aux auteurs de l'étude originelle de faire une erreur scientifique en faisant dire aux mesures ce qu'elles ne disent pas : « C'est alors qu'on peut lire : « Nous en sommes arrivés à conclure que l'eau met en moyenne cinq jours pour traverser le couvercle et qu'un tiers de l'eau de pluie est récupérée en moyenne dans le sarcophage » passant ainsi en une seule enjambée de la corrélation à la causalité. ». Or la preuve de « causalité » ne vient pas du traitement statistique mais des mesures de porosité. Point n'est besoin d'être hydrologue ou physicien pour comprendre que si l'on observe que de l'eau posée sur le couvercle est en partie absorbée et traverse la pierre en quelques jours, on a alors prouvé que l'eau de pluie qui tombe sur le couvercle du sarcophage peut s'infiltrer. Le traitement statistique en question ne sert donc qu'à évaluer comment cette eau de pluie contribue à l'accumulation d 'eau dans le sarcophage et non à prouver qu'elle peut en être responsable. Les propos d'Y. Lignon soulignant l'importance qu'il y a à ne pas confondre corrélation et causalité sont donc justes mais n'ont aucune pertinence pour le problème qui est posé.


Des arguments contradictoires...


Si le rôle qu'Y. Lignon fait jouer à ses calculs est erroné, qu'en est-il de l'interprétation des calculs eux-mêmes ? Ces calculs font appel à un outil statistique assez connu, appelé « coefficient de corrélation linéaire ». Ce coefficient, compris entre 0 et 1, se calcule pour deux séries de données et sert à mesurer à quel point elles sont proportionnelles. Il s'agit en fait de calculer à quel point les deux variables dépendent l'une de l'autre plutôt que d'autres facteurs pouvant faire varier l'une sans faire varier l'autre. Ainsi, un coefficient de corrélation proche de 1 pour le couple « précipitations » « volume d'eau dans le sarcophage » indique que le niveau d'eau du sarcophage dépend presqu'exclusivement de l'apport d'eau de pluie et très peu des autres facteurs tel que l'évaporation ou la condensation. Il s'agit donc de voir à quel point la variation du volume d'eau dans le sarcophage dépend des précipitations.

Les résultats des calculs d'Y. Lignon donnent des coefficients de corrélation trop faibles  pour considérer que l'eau de pluie puisse être l'apport principal. Or ce résultat entre en totale contradiction avec un article scientifique plus récent à propos du sarcophage d'Arles-sur-Tech (4). Y. Lignon cite d'ailleurs allègrement cet article car y sont mis en avant les autres facteurs de variation du niveau d'eau dans le sarcophage. Y. Lignon croit sans doute ainsi légitimer la polémique qu'il entretient mais l'article en question établit de façon rigoureuse que l'apport d'eau de pluie correspond à 90% de la production d'eau dans le sarcophage. Une telle contribution de l'eau de pluie est en désaccord flagrant avec les calculs d'Y. Lignon mais il ne semble pas qu'un tel élément contradictoire l'ait choqué...


Des zéros pointés


Comment expliquer alors que les calculs d'Y. Lignon entrent en contradiction avec les mesures précises récentes ? La solution a été donnée par le Pr. H. Broch (3) mais cette réponse, quoiqu'élémentaire, ne semble pas avoir été comprise par Y. Lignon. La raison du désaccord des calculs d'Y. Lignon avec les mesures expérimentales est... l'éradication pure et simple des couples de variables (0,0) considérés par ce dernier comme non pertinents. Ces couples de variables indiquent qu'en l'absence de précipitations (0 mm de pluie), le volume d'eau du sarcophage ne varie pas (0 mm de montée du niveau). Y. Lignon considère que ces données n'ont pas de sens pour le problème posé car, selon lui, il s'agit de voir si lorsqu'il pleut l'eau se retrouve bien dans le sarcophage. Dit comme cela, l'argument est séduisant mais en y réfléchissant bien, il devient clair qu'il s'agit d'une grossière erreur de raisonnement (une de plus). Le calcul statistique des coefficients de corrélation sert en effet à mesurer quantitativement l'hypothèse que l'eau de pluie est la source prépondérante de l'eau du sarcophage. Un couple (0,0) est donc tout à fait pertinent car il indique bien qu'aucun autre facteur n'a fait descendre ou monter le niveau d'eau en l'absence de précipitations (NB : le sarcophage n'était pas vide au début de l'expérience (2)). Il aurait pu pleuvoir avec stagnation ou baisse du niveau d'eau ou au contraire ne pas pleuvoir avec montée ou descente du niveau d'eau. Ainsi les couples de valeurs (0,0) sont des « valeurs que l'on DOIT prendre en compte dans le calcul testant l'hypothèse d'une corrélation entre quantité de pluie et hauteur d'eau dans le sarcophage » comme le soulignait déjà le Pr. H. Broch un an plus tôt (3).

Ces zéros ne sont donc en aucun cas des valeurs aberrantes comme le serait par exemple la taille d'un basketteur renommé dans l'évaluation de la taille moyenne des étudiants à partir d'un petit échantillon (une promotion de 30 personnes). Dans ce cas, on cherche à inférer (c'est le terme consacré) une valeur de la population globale à l'aide d'un échantillon qui doit être le plus représentatif possible. Or, la présence d'un basketteur casse cette représentativité. La population d'élèves basketteurs (donc de grande taille) ne représente pas en effet le trentième (1/30) de la population étudiante. La raison pour ne pas prendre en compte la taille du basketteur devient alors tout à fait claire et n'a rien à voir avec le problème de l'eau du sarcophage. Et bien… c'est pourtant l'exemple donné par Y. Lignon dans son article (5) pour justifier l'élimination des couples de zéros qui sont tout aussi représentatifs du phénomène étudié (le rôle de l'eau de pluie) que les autres couples de valeurs !


Un « fabuleux statisticien » ?


La discipline des statistiques, leur bon usage et leur interprétation correcte ne sont pas choses aisées et c'est un domaine connu pour être riche en pièges de raisonnements divers et donc aussi en mystification. Néanmoins, une certaine pratique permet d'éviter les pièges grossiers et le statisticien aguerri est surtout un statisticien attentif à la problématique sous-jacente de son étude car c'est elle qui lui révèle bon nombre d'erreurs à éviter. Comme on l'a démontré, la « note scientifique » d'Yves Lignon semble au contraire dénuée de tout questionnement sérieux sur le rôle du traitement statistique dans l'étude du  «pseudo-mystère » du sarcophage d'Arles-sur-Tech. Ainsi des données sont éliminées sans raison valable et conduisent l'auteur à des conclusions qui sont en contradiction avec une étude plus récente sur laquelle il s'appuie quand même pour défendre non pas une thèse scientifique mais... des propos personnels antérieurs (propos parfois incohérents et parfois faux) au sujet de ce sarcophage (3). Un texte qui défend des propos et une opinion sans aucune forme de sérieux sur le fond ne peut prétendre au qualificatif de « scientifique ». Il s'agit tout au plus d'un texte de propagande pour son auteur. Reste donc à espérer que les lecteurs des écrits d'Y. Lignon ne s'y tromperont pas.




Patrick Berger

est Agrégé de Sciences Physiques et ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure de Lyon.

Il est actuellement Attaché Temporaire d'Enseignement de Recherche à l'Université Rennes 1 dans le domaine de la physique statistique et des phénomènes non linéaires


Références

 (1) A partir du 25 août 2002 et pendant une quinzaine de jours, ce texte a été consultable sur le site internet de l'association Sixième Sens http://www.ifrance.com/sixieme-sens. Comme le souhaitait son auteur, l'information a été diffusée par Pierre Macias sur PsiListe, une liste de discussion en ligne. 

(2)  « L'eau... culte », La Houille Blanche, n° 5, pages 873-881, 1961

Une version numérisée est disponible sur l'Internet à l'adresse : http://psiland.free.fr/connexes/sarcophagearles/sarcophagearlesframe.html


(3)  H. Broch, « Des allégations de parapsyphiles concernant le mystère de la Sainte Tombe (Sarcophage d'Arles-sur-Tech. II) », http://www.unice.fr/zetetique/articles/sarco_allegations.html, 2001

Cet article a été repris dans le livre coécrit avec Georges Charpak :

Devenez sorciers, devenez savants, page 152-157, Odile Jacob, 2002.

De nombreuses références à cet article se trouvent dans la note d'Y. Lignon qui a manifestement rédigé son texte en réaction à ce qui y est écrit.

(4)  D. Beysens, M. Muselli, J.-P. Ferrari et A. Junca, « Water production in an ancient sarcophage at Arles-sur-Tech  (France) », Atmospheric Research, vol. 57, pages 201-212, 2001

(5)  Dans sa « note scientifique », Yves Lignon parle d'un célèbre basketteur qui s'appellerait « John Benson »...

Après recherche il semble que le seul John Benson célèbre est écrivain et analyste en... baseball. Cf. http://johnbenson.com.